La guerre en Afghanistan à l’ère démocratique

Comment interpréter les réactions face à l’annonce du décès de nouveaux soldats français sur le terrain afghan, les pertes humaines de l’armée française dans ce pays ayant atteint le nombre de 70 depuis 2001 ?

Rendent-elles nécessaires de rappeler, comme s’y est employé le ministre de la défense, Gérard Longuet, que la guerre tue, et que l’abnégation totale, jusqu’à la mort, fait partie des risques quotidiens encourus sciemment par tout soldat ?

Au contraire, ne nous invitent-elles pas plutôt à renouveler nos référentiels théoriques et analytiques sur la guerre et, plus largement, les sociétés humaines ? Ne peut-on en effet y voir une nouvelle manifestation de la conscience démocratique ?

N’est-ce pas finalement le triomphe de la démocratie qui pointe à l’horizon, non pas en Afghanistan même – malgré les velléités de l’ancien président américain, Georges Bush, d’y installer la démocratie par la force – mais au sein de nos pays engagés dans un processus continu de renforcement de la logique pacificatrice à l’œuvre au sein des démocraties libérales?

Après les progrès du droit international humanitaire – en partie sous l’impulsion de la société civile et d’ONG, tel que le Comité International de la Croix Rouge – qui nous ont rendus plus sensibles à la nécessité de protéger les populations civiles des conséquences de la guerre (déjà perceptibles lors de la guerre au Vietnam), et qui ont permis d’encadrer le déroulement des conflits pour rendre la guerre plus loyale (ce qui peut être contesté dans le cadre de la guerre afghane par ailleurs) – on n’ose dire plus juste -, il semble que les opinions occidentales acceptent désormais de moins en moins que leurs soldats payent de leur vie leur engagement pour leur patrie. On voit par ailleurs poindre l’un des bénéfices de la diffusion de l’information au niveau planétaire et le rôle irremplaçable des médias.

En effet, la démocratie suppose le règlement des différends et des désaccords par la voie du dialogue, de la confrontation des points de vue, au travers d’une expression libre, éclairée, égale de tous les citoyens : l’organisation démocratique d’une société pousse encore plus loin la logique du « monopole de la violence légitime » exercé par l’Etat, que nous a dévoilée l’analyse de Max Weber il y a un siècle. Elle tend à rendre l’usage de la violence même illégitime, y compris dans le règlement des différends entre Etats et nations.

Aussi, à l’heure où la mondialisation fait l’objet de nouvelles attaques, en particulier sur le terrain économique, les réactions suscitées par les pertes de notre armée sur un terrain d’opérations aussi éloigné de la France qu’est l’Afghanistan ne peuvent être analysées comme une régression de notre société, mais bien plutôt comme le signe d’une conscience renforcée d’une nécessaire pacification des relations, non seulement à l’intérieur des frontières, mais de plus en plus, au-delà des frontières. Elles plaident également pour un nouvel approfondissement de la démocratie libérale au niveau interne, dévoilant l’impérieuse nécessité d’associer l’ensemble des citoyens à la décision de mener des opérations extérieures. La réforme initiée par la révision constitutionnelle de 2008, qui permet désormais au Parlement de s’exprimer sur les engagements militaires de la France, comme il vient de le faire pour la Libye, est un premier pas vers ce nouvel élan démocratique, mais sa portée se révèle bien mineure, et elle reste insuffisante. S’il est sans doute nécessaire de ne pas ouvrir la boîte de Pandor sur cette question qui requiert expertise et sang-froid, les gouvernements ne pourront plus ignorer pendant encore bien longtemps l’aspiration des peuples à se prononcer sur le destin commun qu’ils veulent construire pour la communauté humaine. Si la fin des conflits armés n’est pas pour demain, on voit bien tous les bénéfices que l’on peut tirer d’un renforcement du processus démocratique au niveau interne et international.

Plutôt que de vouloir imposer la démocratie par la force, ce qui ne constitue plus qu’une utopie largement battue en brèche, affermissons sa logique et ses ressorts au sein même de nos frontières, et ouvrons-nous aux autres peuples afin que, par le contact et des échanges réguliers, continus et surtout respectueux, nous enrichissions mutuellement nos modèles de gouvernement, et nous soutenions les mouvements d’émancipation qui ne manquent pas de se manifester avec un éclat particulier depuis plusieurs mois. C’est là peut-être que réside l’une des leçons convergentes qui peut être extraite des événements en Afghanistan et dans les pays du « printemps arabe » : plutôt que l’interventionnisme ou le protectionnisme, renouvelons notre rapport au monde, et concrétisons cette évidence que nous sommes tous mus par une commune humanité, qui doit nous conduire à bannir la violence physique des relations entre les hommes.

Alors que les armées risquent de subir de solides restrictions sous le poids des contraintes budgétaires, il serait sans doute temps d’engager un débat ouvert sur la politique de défense de la France, mais également de ne pas s’en tenir à de stricts impératifs budgétaires pour renforcer les capacités diplomatiques de la France, l’aide au développement et tous les mécanismes qui favorisent les rapprochements de toute nature entre les peuples. Voici un autre enjeu fondamental de la campagne présidentielle de 2012.

Be Sociable, Share!

Laisser un commentaire